Amazon, Google, Facebook... Aux Etats-Unis, la lutte organisée des Gafa contre les syndicats
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Amazon, Google, Facebook... Aux Etats-Unis, la lutte organisée des Gafa contre les syndicats


L'échec de l'implantation d'un syndicat dans un entrepôt Amazon de New York, lundi 2 mai, met en lumière les méthodes radicales des géants américains contre le syndicalisme.

C’est un marathon, pas un sprint." Malgré la déception, Christian Smalls veut garder la tête haute. Lundi 2 mai, l'emblématique leader du syndicat Amazon Labor Union (ALU) a perdu une bataille dans sa lutte pour de meilleures conditions de travail et de rémunération chez le géant du e-commerce. L'entrepôt Amazon LDJ5 de New York a voté contre une représentation syndicale d'ALU, à 618 voix contre 380 pour le "oui". Une défaite plutôt nette, donc, avec toutefois une forte abstention, à 39%. Celle-ci intervient pourtant un mois tout juste après une éclatante victoire, non loin, au sein de l'entrepôt JFK8. Une grande première qui en appelait alors d'autres...

Que s'est-il passé ? Selon Amazon, la situation est très simple : il n'y avait tout simplement pas besoin de section syndicale entre ses murs. "Nous nous efforçons de rendre chaque jour meilleur pour nos employés", a déclaré, satisfait, un porte-parole. Plus vraisemblablement, les caractéristiques des différents entrepôts ont pu jouer dans ce résultat : LDJ5 est une structure près de quatre fois moins grande que JFK8, composée de plus de travailleurs à temps partiel, réputés moins enclins à se syndicaliser. Le contexte, aussi, est important : Christian Smalls, le leader d'ALU, était lui-même un ancien travailleur chez JFK8. Il avait réussi à mobiliser pendant la pandémie de Covid-19, dénonçant les risques encourus par lui et ses collègues et minimisés par sa direction. Le même passif n'existait pas chez LDJ5.

Sur Twitter, mardi, l'Amazon Labor Union a aussi mis le doigt sur un problème de taille : "Les méga-entreprises dépensent des millions dans des tactiques antisyndicales." Amazon a en effet dépensé 4,3 millions de dollars en 2021 pour éteindre toutes velléités syndicales, selon le ministère américain du Travail. Derrière ce montant : des pratiques ultra-agressives, partagées aujourd'hui par d'autres grands employeurs aux Etats-Unis, dont ceux de la Tech comme Google et Apple. Car ces géants sont de plus en plus confrontés à l'émergence du syndicalisme parmi leurs travailleurs les moins bien payés, leurs techniciens ou leurs vendeurs.

"Les grosses entreprises du numérique sont actuellement les meilleures 'cibles' pour les syndicats, afin de fixer de nouveaux standards, comme l'étaient celles de l'acier dans les années 1930, observe à ce propos Paolo Santini, doctorant à la Paris School of Economics, spécialisé dans l'Histoire du travail et la formation des syndicats. De plus, avec la pandémie, ces entreprises technologiques ont vu leurs bénéfices augmenter encore plus. Les travailleurs demandent à partager ces gains car ils ont pris le risque de travailler pour eux lors de cette période ; c'est une question d'équité." L'Institut Gallup estime par ailleurs que sept Américains sur dix sont actuellement favorables aux syndicats, le plus haut pourcentage depuis 1965.

"Réunions captives", SMS, trafics des feux de circulation...

Les plus grandes compagnies américaines, en retour, ont donc de plus en plus recours à des union busters, des consultants ou des avocats spécialisés, mobilisés dans les lieux de travail ou les syndicats tentent de s'étendre. Google, en début d'année, avait été obligé de divulguer des documents de son plan "Vivian", mis en place avec l'aide du cabinet IRI Consultants entre 2018 et 2020 afin de décrédibiliser toute tentative d'union syndicale. Un plan, principalement porté sur la surveillance et la communication ("les syndicats sont nuls"), qui n'a néanmoins pas empêché la naissance de l'Alphabet Union Workers (AWU), réunissant à ce jour 800 personnes.

Il y a plus d'un an, le média d'investigation The Intercept racontait aussi comment Amazon payait un consultant 3200 dollars la journée pour empêcher une section syndicale de se monter dans un entrepôt de Bessemer, en Alabama. Au programme : bombardement de SMS antisyndicaux ou encore achat de publicités sur Facebook exhortant les travailleurs à voter "non". D'après le média spécialisé dans le numérique The Verge, une demande de changement des feux de circulation proches du site avait même été réalisée. L'objectif : rendre les feux rouges moins longs, et ainsi diminuer le temps que pouvaient passer les syndicats - interdits à l'intérieur même des sites Amazon - à tracter auprès des automobilistes à l'arrêt. Un travail de sape qui a fonctionné : l'entrepôt de Bessemer a finalement voté contre une représentation syndicale du syndicat national de la distribution (RWDSU).

Mais la technique la plus préconisée des union busters reste celle des "réunions captives". Ces convocations obligatoires, au sein des lieux de travail, visant à prévenir les salariés des "dangers" du syndicalisme : prix des cotisations, difficulté pour obtenir une véritable convention collective... tout en glissant quelques menaces, parfois à peine masquées.

Dans un magasin Apple Store de New York, des employés déçus par la faible hausse des rémunérations ont fondé le Fruit Stand Workers United, et récemment obtenu de premières cartes d'autorisation syndicales, qui matérialisent le désir d'un employé d'être représenté par le syndicat. Immédiatement, des salariés ont été pris à part par des responsables, leur expliquant qu'ils pourraient être ainsi privés de visites dans l'imposant siège d'Apple en Californie, ce qui constitue normalement pour eux une expérience inoubliable, rapporte le Washington Post.

Numérisation de la lutte

Les derniers évènements chez Amazon rappellent enfin à quel point l'antisyndicalisme s'est grandement numérisé. Sur le très ergonomique site internet "unpackldj5.com" - contre l'implantation d'un syndicat dans l'entrepôt LDJ5 - Amazon ne se contente pas de rappeler les avantages qu'elle propose à ses employés sur la santé, ou encore ses congés parentaux. "Lorsqu'un partisan des syndicats parle des choses qu'un syndicat fera pour vous, demandez-lui comment il peut le faire. Et demandez-lui combien cela vous coûtera-t-il d'être représenté par eux ?", attaquent aussi ses auteurs. Les critiques à l'égard d'ALU, qui n'a "aucune expérience de la représentation d'employés, où que ce soit", se multiplient au fil des pages. Le site, également traduit en espagnol, alerte même, en gros caractères, sur le risque que courent les employés de perdre "des centaines de dollars chaque année", à cause du paiement des cotisations.

Toujours sur le volet numérique, Google a été accusé l'année dernière de surveiller ses employés avec une extension du navigateur Chrome, laquelle signalait toute réservation d'une salle pouvant accueillir plus de 100 personnes. Facebook a aussi été épinglé, en 2020, pour avoir présenté une liste noire de mots pouvant être bannis de sa plateforme collaborative Workplace, comme l'expression "se syndiquer".

Si toutes ces méthodes ne suffisent pas, l'étape ultime reste celle du licenciement des éléments dits "perturbateurs". Christian Smalls, au sein de l'entrepôt JFK8 d'Amazon, en a fait l'expérience en mars 2020. Le syndicaliste conteste toujours la légalité de l'action du géant. Mais qu'importe : en règle générale, les plus grandes compagnies, aux ressources considérables, ne sont pas vraiment incitées à agir dans le respect de la loi. Une publication, l'année dernière, de l'économiste au MIT Anna Stansbury, estimait "qu'une entreprise peut être incitée à licencier illégalement un travailleur pour activités syndicales, même si ce licenciement illégal réduit la probabilité de syndicalisation de l'entreprise de seulement 0,15 à 2%". Le prix à payer est infiniment plus faible que celui à débourser en cas de réelles avancées sociales, notamment en termes de rémunération - l'ALU demande par exemple à Amazon de porter sa rémunération à 30 dollars de l'heure contre 18 actuellement.

Ces pratiques antisyndicales sont toutefois dans le viseur de l'administration Biden. Jennifer Abruzzo, nommée à la tête du National Labor Relations Board (NLRB), l'organe chargé de conduire et de rapporter les résultats des élections syndicales, mais aussi d'enquêter sur les pratiques illégales dans le monde du travail, a fait part dans une note publiée début avril de son désir de mettre fin aux "réunions captives". Abruzzo avait précédemment permis aux salariés d'Amazon de pouvoir rester dans leurs locaux d'entreprise jusqu'à quinze minutes après la fin de leur service, une marge suffisante pour pouvoir discuter avec d'autres employés. Une nouvelle ère débute peut-être, dans un pays où le taux de salariés syndiqués, dans le secteur privé, se situe à 6,1%. Le président démocrate Joe Biden, après la victoire de JFK8, s'était lui-même permis de célébrer en clamant : "Amazon, nous voilà !". Les Gafa savent à quoi s'en tenir.

Source : L’Express

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