Santé reproductive des adolescentes au Mali : silence, tabous et urgences invisibles
- malikunafoninet
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« Beaucoup de filles souffrent en silence. Elles ne savent pas à qui parler, et quand elles parlent, il est souvent trop tard », confie Awa, sage-femme dans un centre de santé communautaire de Bamako. Son témoignage n’est pas isolé : la santé reproductive des adolescentes demeure l’un des sujets les plus sensibles, mais aussi les plus urgents du Mali. Entre tabous sociaux, manque d’information, grossesses précoces et difficultés d’accès aux soins, les réalités quotidiennes des jeunes filles révèlent un défi majeur de santé publique.
Un enjeu crucial, mais trop peu abordé
Selon les derniers rapports du ministère de la Santé, près d’une adolescente sur cinq au Mali tombe enceinte avant l’âge de 19 ans. Dans certaines zones rurales, ce chiffre grimpe encore davantage. Ces grossesses précoces, souvent non désirées, exposent les jeunes filles à des complications obstétricales graves, notamment les fistules, les hémorragies ou encore les infections.
Mais au-delà des données, la réalité est plus crue. « Les adolescentes manquent d’informations fiables. Elles ont peur d’aborder la question à l’école, et encore plus à la maison », explique Moussa Traoré, éducateur dans un centre d’écoute pour jeunes. L’absence de communication familiale, combinée à une pression sociale forte autour de la pudeur et de la virginité, crée un environnement où la prévention devient quasiment impossible.
Le poids du silence : un danger réel
Les tabous entourant la sexualité créent une spirale de désinformation. Sur les réseaux sociaux, les jeunes filles s’informent auprès de leurs pairs, souvent eux-mêmes mal informés. Certains mythes persistent : « On nous dit que la planification familiale rend stérile », rapporte Mariam, 17 ans. « D’autres disent que le préservatif est dangereux. »
Ces fausses informations ont un impact direct sur la santé des adolescentes. Elles retardent les consultations, favorisent les rapports non protégés et augmentent les risques d’IST, de VIH ou de grossesses non désirées.
Les professionnels de santé le confirment : « Quand une adolescente arrive au centre après un avortement clandestin, il est souvent trop tard », déplore une infirmière du district sanitaire de Koulikoro. Les complications liées aux avortements non sécurisés constituent encore l’une des premières causes de mortalité chez les jeunes filles.
L’école, un espace prometteur mais encore insuffisant
Depuis quelques années, les autorités sanitaires et éducatives ont initié des programmes d’éducation à la santé reproductive dans les établissements scolaires. Mais ces initiatives restent limitées et font parfois face à des résistances sociales.
Dans certaines écoles, les séances sont irrégulières, les enseignants manquent de formation ou évitent les sujets jugés sensibles. « Parler de sexualité est encore perçu comme une incitation », regrette une conseillère d’orientation scolaire.
Pourtant, les adolescentes expriment un réel besoin. Selon une enquête menée dans trois lycées de Bamako, plus de 70 % des jeunes filles affirment vouloir disposer d’informations claires et fiables sur les menstruations, la puberté, la contraception et les rapports protégés.
Des initiatives locales qui changent la donne
Malgré les obstacles, plusieurs initiatives montrent que le changement est possible. À Mopti, un groupe de jeunes volontaires anime des sessions d’écoute pour adolescentes, où elles peuvent poser toutes leurs questions en toute confidentialité. « Nous parlons sans jugement, et elles repartent mieux informées », explique Sitan, animatrice communautaire.
À Sikasso, un programme pilote intègre les mères dans les sessions d’éducation sexuelle, afin d’ouvrir un dialogue intergénérationnel. « Quand une maman comprend mieux, elle transmet mieux », souligne la coordinatrice du projet.
Des radios locales ont également lancé des émissions interactives destinées aux adolescents et aux jeunes. Les questions arrivent par SMS ou WhatsApp, preuve du besoin de formats discrets et accessibles.
Accès aux soins : une course d’obstacles
Au-delà de l’information, l’accès effectif aux soins reste un défi majeur. Plusieurs adolescentes hésitent à se rendre dans les centres de santé par peur d’être reconnues, jugées ou sermonnées. « Certaines viennent seules, en cachette. D’autres rebroussent chemin dès qu’elles voient une connaissance », explique une sage-femme du centre de Ségou.
Le coût des soins constitue aussi un frein important. Pour une adolescente qui n’a pas de revenus propres, payer une consultation, un test ou un moyen contraceptif peut devenir hors de portée.
Des efforts ont été engagés pour rendre certains services gratuits, notamment pour les adolescentes en milieu scolaire, mais leur mise en œuvre est encore inégale selon les districts.
La nécessité d’un engagement national
La santé reproductive des adolescentes est un enjeu transversal : éducation, santé, protection sociale, droits humains. Aucun secteur ne peut agir seul. Les acteurs de terrain réclament une meilleure coordination et un renforcement des ressources.
« Protéger les adolescentes, c’est protéger l’avenir du pays », martèle un responsable local de santé à Kayes. « Chaque grossesse précoce est un risque pour la jeune fille, mais aussi un frein pour son éducation et son autonomie. »
Aujourd’hui, de nombreuses organisations plaident pour :
• Des programmes scolaires plus structurés,
• La formation des enseignants,
• Des espaces d’écoute dédiés aux adolescentes,
• Un accès facilité aux services de santé,
• Et une lutte déterminée contre la désinformation.
Briser le silence pour sauver des vies
Au Mali, les adolescentes représentent une part importante de la population. Leur santé reproductive n’est pas seulement un sujet médical : c’est une question de dignité, d’égalité et d’avenir. Tant que la société ne brisera pas les tabous qui entourent la sexualité et les besoins spécifiques des adolescentes, les urgences invisibles persisteront.
Mais les témoignages recueillis montrent que le changement commence déjà, doucement mais sûrement. Il suffirait parfois d’une parole, d’une oreille attentive, d’une information juste, pour transformer le destin d’une jeune fille.
Oura KANTE
Malikunafoni










































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