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Procès Lumbala : quand le rapport Mapping relance les zones d’ombre des guerres congolaises

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« Ce document n’a jamais été entièrement versé au dossier, et c’est un scandale. » La déclaration, sèche et lourde de sous-entendus, a résonné dans la salle d’audience de la cour d’assises de Paris. Le 19 novembre, l’ancien enquêteur de l’ONU Luc Henkinbrant est venu rappeler à la justice française que le rapport Mapping – cette cartographie glaçante des crimes commis en RDC entre 1993 et 2003 – recèle des annexes sensibles, encore absentes du dossier Lumbala.

 

Depuis le 12 novembre 2025, le procès de Roger Lumbala, ex-chef rebelle congolais, se déroule dans un climat tendu. Accusé de complicité de crimes contre l’humanité pour son rôle présumé dans l’opération « Effacer le tableau » en 2002, il refuse toujours de comparaître. Sa chaise vide, dans le box des accusés, est devenue un symbole silencieux du refus d’assumer trois décennies de violences dans l’Est congolais.

 

Un procès sous compétence universelle

 

Arrêté en 2020, Lumbala est jugé en vertu de la compétence universelle, qui autorise un État à poursuivre les auteurs de crimes les plus graves, indépendamment de leur nationalité ou du lieu des faits. Les charges portent notamment sur des massacres, des viols systématiques et des actes de torture visant des populations civiles Batwa et Nande, attribués aux factions rebelles RCD-N et MLC.

 

Pour les parties civiles, ce procès est une première : jamais la France n’avait jugé un ressortissant congolais pour des crimes commis en RDC. Pour la défense, il s’agit d’une atteinte à la souveraineté judiciaire congolaise.

 

Le rapport Mapping, un document explosif remis au cœur des débats

 

Commandé après la découverte d’un charnier en 2005, le rapport Mapping de l’ONU, publié en 2010, répertorie plus de 600 incidents susceptibles de constituer des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. À la barre, Henkinbrant a confirmé l’authenticité des extraits décrivant l’opération « Effacer le tableau » : au moins 373 civils tués, des mutilations, et des fétiches fabriqués avec des organes humains.

 

Mais c’est l’absence de certaines annexes qui fait polémique. Selon l’ancien officier des droits de l’homme, les noms de nombreux responsables politiques et militaires encore en fonction en RDC, mais aussi au Rwanda et en Ouganda, figurent dans ces documents non communiqués. Il évoque une « guerre économique » pour le contrôle des ressources minières de l’Est congolais, dans laquelle les groupes rebelles auraient servi d’intermédiaires.

 

L’ONU, de son côté, affirme que les annexes peuvent être transmises « sur demande de la justice ». Pourquoi ne figurent-elles pas encore dans le dossier ? L’audience n’a pas permis d’apporter une réponse claire.

 

Un documentaire pour comprendre trente ans de conflits

 

Afin de contextualiser les faits, les jurés ont assisté à la projection de L’Empire du silence, le documentaire de Thierry Michel. Pendant près de deux heures, les images retracent l’enchaînement des violences depuis les années 1990 : milices instrumentalisées, interventions étrangères, exploitation illégale des minerais, populations déplacées, impunité persistante.

 

Les réactions ont été fortes : mains sur la bouche, regards fuyants. Une émotion à la mesure de ce que les jurés doivent affronter : juger un homme, mais surtout comprendre une mécanique de guerre qui, depuis trois décennies, broie l’Est de la RDC.

 

Retour sur un conflit façonné par les intérêts régionaux

 

Les années 1990 et 2000 ont vu s’affronter une mosaïque de groupes armés soutenus par des puissances régionales. Le RCD, le MLC, le RCD-N, et d’autres factions sont régulièrement cités pour avoir mené des exactions contre les civils. L’opération « Effacer le tableau » s’inscrivait dans cette logique : élimination de populations considérées comme hostiles, contrôle de zones minières stratégiques, consolidation d’influences régionales.

 

Les ressemblances avec d’autres opérations menées dans les Grands Lacs, notamment au Rwanda et au Nord-Kivu, montrent une même méthode : violences sexuelles, massacres, pillages et déplacements forcés.

 

Une justice internationale lente, mais déterminée

 

Ce procès est un jalon dans la lutte contre l’impunité, même si beaucoup s’interrogent :

·         Pourquoi Lumbala demande-t-il à être jugé par la CPI et non par la justice française ?

·         L’absence des annexes du Mapping est-elle volontaire ?

·         D’autres responsables seront-ils un jour poursuivis ?

Les audiences, prévues jusqu’au 19 décembre, devront déterminer la responsabilité personnelle de l’ancien chef rebelle. Pour les victimes, c’est l’occasion d’obtenir enfin la reconnaissance de leurs souffrances. Pour la justice française, c’est un test : celui de sa capacité à faire émerger la vérité dans un dossier traversé de pressions diplomatiques et de silences institutionnels.

 

Une ouverture qui dépasse le cas Lumbala

 

Quel que soit le verdict, ce procès pourrait ouvrir la voie à d’autres poursuites visant les responsables cités dans le rapport Mapping. Une perspective qui pourrait recomposer les équilibres politiques dans la région des Grands Lacs, où la mémoire des crimes reste vive et la quête de justice encore largement inachevée.

 

Oura KANTÉ

Malikunafoni  

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