Uranium au Niger : Niamey défie l’arbitrage international en assumant l’exportation d’un premier convoi
- malikunafoninet
- il y a 2 jours
- 3 min de lecture

« Le Niger a le droit de disposer de ses richesses », a martelé le général Abdourahamane Tiani lors de sa visite à Arlit. Cette affirmation résonne aujourd’hui comme le cœur d’un bras de fer juridique et géopolitique qui dépasse largement les frontières nigériennes : malgré une interdiction formelle du CIRDI, Niamey a lancé sur le marché international un premier chargement d’uranium, acte inédit dans un secteur où le droit des investissements est habituellement scrupuleusement respecté.
Un convoi qui marque une rupture totale avec Orano
D’après plusieurs sources médiatiques, un convoi d’environ 1000 tonnes d’uranium a quitté fin novembre le site d’Arlit pour rejoindre le port de Lomé, en contournant le territoire nigérian au profit d’un corridor via le Burkina Faso. La société française Orano, ex-opératrice historique du gisement, affirme avoir appris le départ du minerai par la presse, reconnaissant avoir « perdu tout contrôle » sur les opérations depuis la nationalisation de la Somaïr en juin.
Pour Niamey, c’est la première mise sur le marché international d’un uranium désormais considéré comme 100 % nigérien, conséquence d’une rupture consommée avec la France, ancienne puissance coloniale et principal partenaire minier depuis plus de cinquante ans.
Un défi frontal au verdict du CIRDI
Ce transport est pourtant en contradiction directe avec une décision rendue le 23 septembre 2025 par le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), organe dépendant de la Banque mondiale. Le tribunal arbitral avait explicitement interdit au Niger de vendre, transférer ou faciliter la cession de l’uranium issu de la Somaïr tant que le litige avec Orano n’était pas réglé.
Le groupe français, déjà fragilisé par la perte de trois sites stratégiques Somaïr, Cominak et Imouraren, l’un des plus vastes gisements mondiaux menace désormais de recourir à des poursuites pénales si le chargement venait à être saisi hors du Niger. En parallèle, Orano a engagé un deuxième arbitrage pour réclamer réparation pour la perte de son outil industriel.
La nationalisation, pierre angulaire du nouveau discours souverainiste
Le 14 novembre, Abdourahamane Tiani a officiellement dévoilé la plaque de nationalisation des mines d’Arlit, acte présenté comme « irréversible ». Devant les ouvriers, le chef de l’État militaire a dénoncé un demi-siècle d’exploitation « au bénéfice d’opérateurs extérieurs » et annoncé 50 milliards de FCFA pour remettre l’entreprise sur pied.
Ce virage s’inscrit dans une diplomatie tournée vers de nouveaux partenaires. Moscou a déjà manifesté son intérêt pour l’uranium nigérien, et plusieurs sources évoquent des échanges entre Niamey et Rosatom, le géant russe du nucléaire civil. Rien n’est confirmé, mais le message envoyé à Paris est clair : le Niger change d’orbite.
Un marché stratégique, une crise à fort impact géopolitique
Les enjeux économiques sont massifs : environ 1500 tonnes d’uranium seraient encore stockées à Arlit, valorisées à près de 270 millions de dollars selon les cours actuels. Pour l’un des sept principaux producteurs mondiaux, cet or gris constitue l’un des rares leviers financiers dans un contexte de sanctions, d’isolement et de chute des investissements étrangers.
Pour la France, la perte d’Arlit représente un double choc. D’une part, un manque à gagner industriel considérable après plus de cinquante ans d’investissement. D’autre part, un défi énergétique : jusqu’en 2023, le Niger assurait jusqu’à 15 % de l’approvisionnement français en uranium. Paris doit désormais intensifier ses achats au Kazakhstan, au Canada et en Mongolie pour alimenter son parc nucléaire, vital pour les 70 % de l’électricité française.
Un précédent inédit dans le droit international des investissements
Cette affaire pourrait devenir un cas d’école. Jamais un État africain n’avait défié aussi ouvertement une décision du CIRDI. Pour les experts en droit international, le risque est double :
– Saisies d’actifs nigériens à l’étranger,
– Effondrement de la confiance des investisseurs, déjà très prudents dans la région sahélienne.
Mais Niamey mise sur un discours souverainiste qui séduit largement une population exaspérée par les bénéfices limités des décennies d’exploitation minière. Reste à savoir si cette stratégie sera tenable : la gestion d’une infrastructure comme Somaïr exige une expertise technique lourde, des investissements massifs et des débouchés commerciaux dans un marché très régulé.
Un bras de fer qui pourrait inspirer d’autres États africains
En défiant ouvertement l’arbitrage international, le Niger pourrait ouvrir la voie à d’autres pays tentés de renégocier, voire de rompre, des accords miniers conclus après les indépendances. Cette crise dépasse ainsi le cas d’Arlit : elle questionne le rapport de force entre États africains, multinationales et institutions internationales.
Le prochain mouvement de Niamey ou la réaction de la communauté internationale pourrait bien façonner les relations minières en Afrique pour les décennies à venir.
Oura KANTE
Malikunafoni










































Commentaires