Corruption et aide humanitaire : l’expert André Caria met en garde contre une menace silencieuse au Burkina Faso
- malikunafoninet
- 14 juil.
- 3 min de lecture

À Ouagadougou, le 11 juillet 2025, un débat essentiel a animé la 20ᵉ édition des Journées nationales du refus de la corruption (JNRC), à l’initiative du Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC). Axée sur le thème « Corruption et action humanitaire », cette rencontre a permis de décrypter les multiples failles d’un système humanitaire de plus en plus exposé aux dérives. Invité en ligne pour animer la conférence inaugurale, l’expert international André Caria a livré une analyse percutante sur les risques systémiques qui pèsent sur les dispositifs d’aide dans les zones de crise.
Une assistance précieuse, mais vulnérable
L’intervention d’André Caria s’est inscrite dans un contexte marqué par une multiplication des besoins humanitaires et une instabilité croissante dans plusieurs régions d’Afrique de l’Ouest. Selon l’expert, les flux d’aide, souvent concentrés entre les mains de quelques grands bailleurs, sont rarement accompagnés de mécanismes de contrôle suffisants. Cette centralisation rend les ressources humanitaires particulièrement attractives pour des acteurs opportunistes, dans des environnements déjà fragilisés.
Prenant l’exemple de la restructuration de l’agence américaine USAID début 2025, Caria a souligné les conséquences désastreuses que peut entraîner la suspension soudaine de programmes. Pour des pays du Sahel comme le Burkina Faso, le Mali ou le Niger, où l’aide étrangère constitue un levier essentiel de survie, toute rupture entraîne une vulnérabilité accrue, tant pour les populations que pour les structures d’exécution.
Une économie parallèle invisible
Caria a tiré la sonnette d’alarme sur l’ampleur de la corruption à l’échelle mondiale. En s’appuyant sur des études spécialisées, il affirme que si la fraude et la corruption formaient un État, leur produit intérieur brut dépasserait celui de nombreuses puissances économiques, en faisant virtuellement la troisième économie mondiale. Pourtant, les systèmes actuels de détection n’en révèlent qu’une infime partie, faute de dispositifs efficaces et de signalements encouragés.
Le secrétaire exécutif du REN-LAC, Pissyamba Ouédraogo, a d’ailleurs appuyé cette lecture, en soulignant les risques spécifiques auxquels l’action humanitaire est confrontée, notamment dans les zones d’intervention où l’urgence dicte parfois l’opacité.
Comprendre les mécanismes de la fraude
Au-delà des chiffres, André Caria a plongé les participants dans les ressorts psychologiques de la corruption. Selon lui, ce ne sont pas toujours des délinquants professionnels qui détournent les fonds humanitaires, mais des individus ordinaires, confrontés à des pressions économiques, à des failles de contrôle et à des justifications internes qui les poussent à franchir la ligne rouge.
Il s’est appuyé sur les théories de la rationalisation et de la neutralisation pour expliquer comment certains justifient leurs actes au nom d’un devoir supérieur, d’un intérêt familial ou d’une inégalité perçue. Dans un environnement où la justice elle-même peut être perçue comme compromise, la corruption devient pour certains un choix "acceptable", voire "nécessaire".
Urgence d’un changement de culture
Pour enrayer le phénomène, l’expert recommande un changement radical d’approche. Les audits, bien que nécessaires, ne permettent de détecter qu’une faible portion des cas de fraude. Ce sont principalement les signalements internes – d’employés, de partenaires ou de bénéficiaires – qui permettent de remonter les fils des malversations. Encore faut-il que les organisations disposent de canaux sécurisés et que les lanceurs d’alerte soient protégés.
André Caria plaide pour l’intégration de technologies de détection plus avancées (intelligence artificielle, analyse comportementale, data science), mais rappelle que la technologie ne remplacera jamais une culture organisationnelle fondée sur l’éthique, la vigilance et la responsabilité.
De la réaction à la prévention
L’un des points clés de son intervention est la nécessité d’anticiper plutôt que de réagir. Selon lui, la majorité des institutions n’agissent qu’après avoir été confrontées à un scandale. Or, les expériences montrent qu’une détection précoce permet de limiter les pertes et de mieux contenir les risques.
Il appelle à intégrer la gestion des risques de corruption dès la conception des projets humanitaires, à tous les niveaux : du financement à l’exécution, en passant par le suivi et l’évaluation. Il encourage également la formation continue des équipes sur les enjeux éthiques et le renforcement des mécanismes de redevabilité.
Vers une réponse collective
Cette édition des JNRC, qui a coïncidé avec la Journée africaine de lutte contre la corruption, a permis de mettre en lumière un enjeu crucial souvent relégué au second plan dans les débats publics : l’intégrité dans l’action humanitaire. En réunissant experts, institutions et société civile, le panel a ouvert une brèche pour poser les bases d’une gouvernance plus éthique et plus résiliente face aux défis actuels.
En conclusion, André Caria a rappelé que la corruption ne prospère pas uniquement en l’absence de règles, mais surtout lorsqu’il n’y a pas de volonté réelle de les faire respecter. Et d’ajouter : « Le défi n’est pas seulement technique. Il est avant tout humain. »
Oura KANTÉ
Malikunafoni










































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