Carburant, drogue, or et bétail : plongée dans les finances souterraines de la terreur au Sahel
- malikunafoninet
- 2 juin
- 3 min de lecture

Dans les sables brûlants du Sahel, loin des projecteurs, se joue une guerre invisible, alimentée non par des idéaux, mais par des milliards générés par les trafics en tout genre. Sur le terrain, nous avons vu comment le carburant, les drogues, l’or, et même le bétail, constituent les artères vitales d’un réseau criminel tentaculaire qui finance le terrorisme et sape les fondations des États de l’Alliance des États du Sahel (AES).
« Chaque bidon saisi, c’est un camion suicide qui ne part pas, une opération de sabotage empêchée, un village qui respire », confie un officier du renseignement burkinabè lors d’une patrouille dans la région des trois frontières.
Le carburant : c’est lui, le nerf de la guerre dans cette région ravagée. Dans les caches découvertes près des frontières entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, des dizaines de milliers de litres sont stockés clandestinement. À Niamey, une récente opération a permis de saisir près de 27 500 litres, destinés aux groupes armés opérant dans le désert. À Ouagadougou, 7 300 litres ont été interceptés sur un convoi suspect.
Derrière ces chiffres se cache une réalité plus vaste : un écosystème criminel structuré, qui mêle drogue (cannabis, cocaïne de transit, khat), armes, êtres humains, marchandises contrefaites, et même médicaments. Le Sahel est devenu une autoroute du crime sans douane, où chaque cargaison finance des salaires, des armes, et des campagnes de terreur.
À Kidal, reconquise en novembre 2023 après dix années de contrôle par des groupes armés, les populations témoignent de l’exploitation des sites d’orpaillage, transformés en coffres-forts pour le terrorisme. L’or, qualifié ici de « pétrole des bandits », est soit extrait directement par les groupes armés, soit lourdement taxé. En 2019, la perte due à la contrebande d’or a dépassé 120 millions de dollars dans les trois pays de l’AES.
Autre levier de financement : le vol de bétail, le racket des populations locales, et l’imposition forcée de la zakat. Des taxes imposées sous la menace, qui transforment les villages en banques improvisées pour les djihadistes.
Sur le terrain, nous avons également observé une forme de professionnalisation inquiétante de ces groupes. Des Groupes Tactiques Opérationnels (GTO), souvent composés de mercenaires, de passeurs, ou d’ex-militaires recyclés dans l’illégalité, assurent la logistique et les opérations. Les financements transitent à travers des circuits informels comme le hawala, ou sont blanchis dans le commerce ou l’élevage, en Franc CFA, monnaie encore dominante dans ces zones malgré les velléités d’émancipation monétaire des États de l’AES.
Cette économie souterraine prospère dans les « zones grises », ces no man’s lands où l’État est absent, et où les groupes armés règnent en maîtres. À la porosité des frontières s’ajoute la corruption de certains acteurs locaux, qui ferment les yeux sur les convois illégaux en échange de leur part.
La guerre est aussi médiatique. Sur les réseaux sociaux et certaines chaînes étrangères, des campagnes de désinformation alimentent la défiance contre les régimes de transition, affaiblissant encore plus la cohésion nationale.
Mais la riposte s’organise. Les opérations Yereko 1 et 2, menées conjointement par les forces armées du Mali, du Burkina et du Niger, visent non seulement les bases terroristes, mais aussi les réseaux financiers souterrains. Comme le résume un officier malien rencontré à Gao :
« Il ne suffit pas de tirer. Il faut couper le robinet. »
Dans cette guerre asymétrique, la bataille se joue autant sur le terrain militaire que sur celui de l’économie souterraine. Et pour l’heure, les États de l’AES n’ont pas dit leur dernier mot.
Par
Oura KANTÉ
Malikunafoni
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